La rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine était annoncée comme une première prise de contact, plutôt pour tâter le terrain que pour relancer drastiquement les relations entre la France et la Russie. Les deux hommes se sont entretenus plus longtemps que prévu, et ont, de toute apparence, abordé de nombreux sujets en profondeur, y compris des «choses qu’ils ne nous diront pas», a précisé Macron. C’était peut-être une stricte visite de travail, mais l’arrivée du chef du Kremlin dans la cour du Grand Trianon, à Versailles, n’en a pas moins été solennelle et assortie de tous les honneurs – garde républicaine et roulement de tambour. Contrairement à son habitude, Poutine n’avait qu’une demi-heure de retard. Le locataire de l’Elysée a attendu le président russe en haut des marches, avant de descendre l’accueillir, avec un sourire cordial et une poignée de main chaleureuse. Les deux chefs d’Etat ont entamé leur première rencontre, en prélude de l’inauguration de l’exposition «Pierre le Grand, un tsar en France», qui retrace la visite de l’empereur russe à Versailles en 1717, marquant le début des relations diplomatiques entre les deux pays. Le programme était serré, et toute l’organisation suggérait qu’il s’agissait donc d’une visite uniquement de travail. Après un entretien restreint et un déjeuner en comité réduit, Macron et Poutine ont fait une entrée théâtrale, en avançant d’un pas mesuré depuis le fond de la galerie des Batailles. Le président français a pris la parole pour rappeler l’importance du «dialogue entre la France et la Russie qui n’a jamais cessé». Poutine l’a remercié de l’avoir invité dans ce «joli coin de France» où il n’était jamais venu auparavant.
«Solutions concrètes»
De l’adresse commune des deux présidents, il apparaît que de nombreux sujets ont été abordés, mais peu de solutions ont été ébauchées. Macron est revenu plusieurs fois sur le conflit en Ukraine, et une prochaine, énième, réunion au format Normandie, précédée par un rapport détaillé de l’OSCE sur la situation sur le terrain. Vladimir Poutine n’avait pas grand-chose à ajouter. Le président français n’a pas éludé la question de la persécution des personnes LGBT en Tchétchénie et la situation des ONG en Russie, faisant valoir les positions de la France sur ces sujets. Vladimir Poutine a préféré ne pas les commenter.
Sur le dossier syrien, Macron a adopté une position ambiguë quant au futur du président Bachar al-Assad. Là où son prédécesseur François Hollande avait toujours affirmé qu’il ne pouvait faire partie d’une solution politique, Macron a déclaré vouloir préserver un «Etat syrien», sans préciser le rôle d’Al-Assad, tout en plaidant pour une transition démocratique. Une position qui n’est pas antinomique avec celle de Poutine, principal soutien du régime syrien. «Nous ne pouvons lutter contre la menace terroriste en détruisant l’Etat [syrien]», a-t-il affirmé. Les deux dirigeants ont annoncé être parvenus à un accord pour la création d’«un groupe de travail» franco-russe pour lutter contre le terrorisme, sans plus de précision. La France fait déjà partie de la coalition internationale et bombarde régulièrement des cibles en Syrie et en Irak. Les avions russes ne frappent, eux, que rarement l’EI. «L’éradication des groupements terroristes et en particulier de Daech» est «notre priorité absolue», a répété Macron.
Aucune condamnation en revanche des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité commis par le régime syrien selon les Nations unies, à l’exception de l’utilisation des armes chimiques. Celle-ci est une «ligne rouge», selon le président français. L’expression avait déjà été employée par Barack Obama en 2013. Elle est devenue depuis le symbole de l’impuissance et du refus de s’engager en Syrie des pays occidentaux. Après plusieurs attaques au sarin en août 2013 dans la Ghouta, à proximité de Damas, qui avaient fait plus de 1 300 morts, Obama avait reculé au dernier moment et refusé d’intervenir. Le 7 avril dernier, Trump avait à l’inverse ordonné des frappes sur une base aérienne militaire syrienne, trois jours après une attaque au sarin menée par le régime de Bachar al-Assad sur la ville de Khan Cheikhoun. Cette décision avait ulcéré Moscou qui estimait qu’elle portait «un préjudice considérable» aux relations entre les Etats-Unis et la Russie.
Sans jamais faire référence au processus de Genève, qui vise à trouver une issue politique à la guerre en Syrie, Macron a critiqué celui dit d’Astana (Kazakhstan). Initié par la Russie en décembre, il réunit des représentants de Téhéran, d’Ankara, de groupes rebelles syriens et du régime de Bachar al-Assad. «Nous avions beaucoup insisté pour que la France et l’UE soient présentes à Astana mais la Russie a toujours refusé, explique un diplomate turc. Elle a simplement cédé sur le rôle des Etats-Unis qui sont là en tant qu’observateurs.» Les réunions d’Astana ont permis de faire diminuer les combats, mais les accords de cessez-le-feu sont très régulièrement violés.
Ce qui ressort, malgré tout, c’est que l’envie de s’entendre et de se comprendre existe, mais les désaccords demeurent nombreux. Macron a balayé la question sur l’ambiance de la rencontre : «Ni la vie politique ni la diplomatie ne consistent à commenter soi-même des éléments de thermodynamique ou de chimie personnelle. Il s’agit d’apporter des solutions concrètes à nos problèmes réels.» Ce qui résume bien le pragmatisme du président français. Peu importe ce qu’il pense ou ne pense pas de Poutine, ce qui importe c’est d’avancer. «Nous devons construire une action commune parce que sinon nous n’avancerons pas sur les sujets évoqués, a-t-il martelé. Si nous n’avons pas un dialogue franc, sincère, exigeant, nous n’arriverons à aucune avancée ni sur le sujet ukrainien, ni sur le sujet syrien.»
Même si les deux chefs d’Etat ont répété à plusieurs reprises que les points de convergence existent, le ton a durci sur des questions précises. Poutine assume sa proximité de vues avec Marine Le Pen, qui «vient régulièrement à Moscou» : «Je ne pense pas que ses opinions quant à la protection de l’identité des peuples européens, le renforcement de la souveraineté des pays européens, soient infondées et insensées. Peut-être que ma position ne correspond pas à celle de mes collègues, mais je l’ai toujours exprimée ouvertement.»
«Contrevérités»
Macron, de son côté, s’est enflammé en parlant de Russia Today (RT) et Sputnik, deux médias financés par le Kremlin : «Quand des organes de presse répandent des contrevérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. RT et Sptunik ont été des organes d’influence durant cette campagne qui ont à plusieurs reprises produit des contrevérités sur ma personne et ma campagne.» Mais, comme l’a répété plusieurs fois Poutine, «les relations fondamentales de la France et de la Russie sont beaucoup plus importantes que la conjoncture». Avant même qu’elle ne débute, les médias russes avaient déjà qualifié l’entrevue d’«historique». «Beaucoup de choses vont dépendre de la première rencontre»,estimait le matin l’ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov (sur Europe 1), en insistant sur l’importance de «commencer à dissiper cette méfiance qui s’est accumulée ces dernières années». L’Elysée comme le Kremlin soulignaient d’ailleurs la charge symbolique de la rencontre, sans s’attendre à un revirement drastique des relations entre les deux pays. A Moscou, Fiodor Loukianov, président du Conseil pour la politique extérieure et de défense, résumait ainsi l’enjeu : «La partie russe cherche à sortir de l’impasse», mais mieux ne valait «rien attendre de cette visite ; il s’agit pour les deux dirigeants de faire connaissance et de créer une ambiance positive. Ou pas».
Commentaires récents